vendredi 11 juin 2010

Cahiers d’Emmaus (6)

Chantiers ouvert(s) et fermé(s)

Les enregistrements à Radio Campus se sont déroulés les mardi 4,11 et 18 mai. Radio campus se trouve à deux pas de la place des Vosges.

Nous avons eu un long temps pour les enregistrements, ce qui nous a permis de découvrir et de s’approprier cet outil formidable qu’est la radio avec la complicité et la disponibilité de Guillaume Mahé, membre de l’association l’œil à l’écoute qui nous a permis de travailler dans cette radio.

La découverte d’un outil comme celui là a été plus que bénéfique pour le groupe et pour moi.

Nous avons enregistrés les poèmes de Baudelaire en français et dans les langues maternelles des participants comme prévu en prenant le temps de refaire le mardi suivant les mêmes enregistrements pour que chacun puisse améliorer sa lecture.

J’ai pu enregistrer les éléments qui me serviront par la suite pour l’installation Intégration(s) à l’espace Khiasma printemps 2011.

D’être dans ce studio de radio a permis de faire entendre à tout moment ce qu’on enregistrait avec un rendu sonore adéquat ce qui a été un plus par rapport au dispositif à l’AFB.

D’habitude, l’écoute se fait très peu en définitive et en présence de l’ingénieur du son quand il vient et cette écoute se fait individuellement et au casque

Guillaume a engagé avec le groupe, dans le même temps des enregistrements des poèmes, une discussion enregistrée selon les modalités d’une émission de radio (se présenter, raconter son expérience de vie à Paris…). Cela a donné des moments où les participants ont pu (un peu) se donner d’eux-mêmes.

Nous avons eu la visite de Mathias et de Zaffar qui font partis de l’AFB et qui ont bien voulu travailler sur des traductions du poème de Baudelaire l’étranger en Tchèque pour le premier et en Persan pour le deuxième. Je les en remercie.

Une autre personne a donné un peu de son temps et est venue nous rencontrer : Ghenette Haile Michael que j’avais sollicitée pour une traduction en Tigrinya (une des langues d’Erythrée). Après la défection de la personne à qui cette traduction était destinée, je lui ai demandée si cela lui disait de venir nous rencontrer et enregistrer le poème elle-même. Elle a bien voulu le faire.

La rencontre a été un moment très chaleureux. Elle a lu ce poème en Tigrinya avec talent. Saviez vous que le Tigrinya et le tamoul avaient des sonorités approchantes ? Ghenette a bien voulu avoir également un échange enregistré avec nous sur son pays, l’Erythrée.

Je remercie également Marie-Elisabeth, le référant du groupe à Emmaus qui a donné de son temps pour ces enregistrements et a bien voulu faire son cours à Radio campus, trois mardis de suite.

Guillaume Mahé m’a proposé dans la foulée d’enregistrer une émission en direct pour parler de cet atelier et plus largement du projet d’Intégration(s). Cela s’est passé le samedi 29 mai de 18h à 19h.

L’émission sera bientôt disponible en écoute sur les sites d’Intégration(s) et de Radio Campus.

Pour cette heure en direct, j’étais accompagné d’Olivier Marboeuf et d’un des participants à l’atelier, Camilo. Camilo n’avait pu participé qu’au début de l’atelier, et j’ai été très heureux qu’il vienne malgré après son retour, enregistrer (avant l’émission) le poème l’étranger en français et en espagnol et que nous parlions ensemble de son expérience avec moi.

Notre discussion était entrecoupée d’extraits d’enregistrements à radio campus.

Nous avons repris le chemin de l’atelier à Emmaus pour préparer les portes ouvertes, début juin. J’avais proposé d’ouvrir une séance de l’atelier et de solliciter les personnes présentes à lire à voix haute avec le groupe. Il y avait du monde, le groupe a été formidable et ne s’est pas laissé démonté. Nous avons donc tous lu le poème de Ghérasim Luca « Madeleine » qui devient un « classique » pour cet atelier. Ce qui est comble.

Cette année se finit avec un grand enthousiasme de tous les participants ce qui me touche beaucoup.

Rose-Marie Ryan a envie que notre échange continue, ainsi que l’espace khiasma.

Quand à moi je dois penser à une autre forme à l’atelier pour ne pas figer les choses, pour ne pas être absorbé par l’institution (le temps y contribue, je crois) continuer à produire du désir, poursuivre entre les lignes, à trouver des chemins dérobés et à explorer la poésie de la langue, des langues.

A suivre….

(Extraits)

« je m’appelle Ghenette, je viens de l’Afrique de l’Est, de l’Erythrée précisément, pour ceux qui ne se rappelle pas très bien où se situe l’Erythrée, c’est entre le Soudan, l’Ethiopie et Djibouti. C’est un pays qui est indépendant depuis 91, qui est officiellement reconnu aux Nations-Unis depuis 93. C’est un pays qui a environ 4 millions d’habitants et qui est composé de 9 nationalités et où on parle 9 langues et la langue que j’ai parlé ici est le Tigrinya qui est parlé par un grand nombre de personnes et qui est aussi une langue qui est écrite.

C’est un seul peuple qui a plusieurs couleurs. C’est un pays qui est composé à la fois de chrétiens et de musulmans, à peu près moitié-moitié, qui est composé de plusieurs ethnies, mais qui se définit, qui se reconnaît autour d’une identité qui est celle de l’Erythrée. Et pendant la guerre d’indépendance, notamment, c’est ce qui a formé et consolidé l’idée de l’identité érythréenne, c’est cette pluralité, existante, mais il y avait toujours eu quelque chose qui a uni les gens autour de cette entité qui s’appelle l’Erythrée.

Moi, j’ai une histoire un peu particulière car je suis arrivée il y a très très longtemps avec mes parents et je suis donc une seconde génération. Les érythréens, pour la plupart sont arrivés fin des années soixante dix début des années 80 parce que la guerre était extrêmement forte à ce moment là. Il n'y ’a pas un très grand nombre d’Erythréens en France mais partout dans le reste du monde, en Europe, aux Etats-Unis et au Moyen-Orient. Vous avez beaucoup, beaucoup d’érythréens qui ont fui la guerre et qui sont établis depuis plus de 25 ans maintenant.

Je retourne pratiquement tous les deux ans en Erythrée depuis l’Indépendance, ça veut dire que pendant des années on n’a pas pu retourner tant que la situation ne le permettait pas. Le premier changement c’est ça, quand on est exilé et qu’on vit ailleurs, c’est qu’on a pas la possibilité pendant des années de voir le reste de la famille. Donc la première fois, une grande partie de ma famille, je l’ai connue à partir de l’Indépendance. C’est un changement… c’est indescriptible.

Ici, on est dans le confort, on a des atouts qui sont si considérables mais il y a quelque chose que rien ne peut remplacer : c’est le reste de la famille. C’est la famille au grand complet, le grand nombre. C’est ce qui manque.

On a des amis, on a des gens qui sont formidables mais malheureusement c’est quelque chose qu’on ne peut pas remplacer et c’est peut-être ce qui manque quand on est exilé, quelque soit la manière dont on est exilé, on peut être dans le grand confort ici, on pourra jamais le remplacer. Ce que je retrouve, ce que j’aime quand je retourne là-bas, c’est ça. Et d’être un enfant du pays.

D’abord, d’être anonyme, d’être comme tout le monde, ça c’est quelque chose qu’on apprécie aussi quoique ce ne soit pas trop difficile d’être en France et de s’immiscer dans la société française, il faut pas exagérer, c’est pas trop difficile, on se sent pas trop étranger non plus. Mais là-bas, vous êtes comme tout le monde, personne ne vous regarde plus particulièrement parce que vous ressemblez à tout le monde.

Et puis parmi les choses qui vous manquent, il y a toute une activité peut-être intellectuelle, peut-être, la manière de trouver une nourriture intellectuelle au niveau des livres, des films, des choses qu’on peut trouver très facilement ici, là-bas c’est le parcours du combattant, trouver le livre que vous voulez, ça devient très difficile.

Le meilleur moyen d’apprendre une langue c’est la maison. C’est parce que mes parents parlaient et qu’autour de moi j’entendais… Je crois que la langue, elle commence par l’oreille, par l’écoute. En écoutant, on se fait tout un vocabulaire. Des fois, je m’étonne, car il y a des mots que je n’ai jamais utilisés qui m’arrivent parce que je fais des traductions et ça ressort. J’essaye de me rappeler dans quelles circonstances où j’ai pu trouver ce mot, en fait c’est parce que mes parents parlaient, ou eux parlaient à d’autres, des amis, des voisins, la famille. Il y a tout un dictionnaire qui se fait dans le disque dur de la mémoire qui est justement la langue maternelle.

Je me rends compte maintenant que je connais plusieurs langues, que j’ai un nombre de vocabulaire beaucoup plus important bien que j’aie passé plus de temps à apprendre le français, par exemple. Je peux avoir un vocabulaire extrêmement important alors que je suis restée très très peu de temps et que finalement, si je fais la comparaison, j’ai peut-être plus parlé le français que ma langue maternelle. Mais le terreau reste parce que je crois qu’il a été pris juste quand il était en friche, juste au début. C’est très important, on l’acquiert, y’a pas de raison, sauf exception, je crois que quand on a appris une langue maternelle, elle reste. Et on peut parler. On a peut-être plus ou moins un bon accent, mais le contenu reste parce qu’on l’a appris à la maison.

…Le pays qui est chrétien et musulman, a plusieurs ethnies mais chaque ethnie ayant sa langue, l’Arabe n’est pas la langue normalement principale. Mais les anglais ont introduit l’Arabe en disant que cela allait faciliter la séparation. Donc ils ont fait comme langue officielle, l’Arabe et le Tigrinya. C’est resté pendant un certain temps. Après l’Indépendance, c’est resté aussi comme langues officielles mais quand on a vu concrètement que c’était pas quelque chose de très facile à administrer. Finalement il y a eu énormément de discussions. On s’est dit pourquoi ces gens qui sont minoritaires dans tel ou tel ethnie, ils n’auraient pas le droit aussi de parler leur langue. Finalement, ils ont fait quelque chose un petit peu particulier : il n’y a pas de langue officielle en tant que tel. Donc, chaque personne qui veut parler une langue, a la possibilité d’utiliser sa propre langue mais vous pouvez trouver facilement et le Tigrinya et l’Arabe toujours écrits. Il y a les journaux, les informations qui sont donnés dans les deux langues parce qu’elles sont écrites mais sinon toutes les autres aussi ont la possibilité de s’exprimer. Officiellement, la Constitution reconnaît toutes les langues du lieu, les langues parlées. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire