mardi 27 octobre 2009

Cahier d'Emmaus n°2


Les "phosphènes" sont les taches colorées qui persistent en obscurité pendant quelques minutes dan le champ visuel, après fixation d'une source lumineuse.
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C'est très beau ce journal. J'espère pouvoir assister à la présentation de votre travail. Il y a quelque chose d'intempestif dans le fait de relier des choses si disparates et de faire rentrer plusieurs temps dans le fil qui conduit la vie du collectif (dont les mails de tes recherches dans les endroits le plus inattendus de la planète à partir du quartier de la Nation). Bref, il y a comme la création d'une sorte de région qui agit par propagation (tout comme les gestes-paroles que tu décris).

A bientôt,

Josep

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Chantiers ouverts :

Ce mardi, l’ambiance était toujours studieuse. On a repris le poème de Ghérasim Luca « La parole » qui devient un poème à se mettre en bouche pour commencer l’atelier. Je n’ai pas encore expliqué le mot phosphènes mais ça viendra…
L’énergie de ce groupe est incroyable.
J’ai compris qu’ils avaient envie des fois de lire de plus longues phrases qui leurs permettent de faire un point sur leur lecture. Le Sacrifice d’ Andrei Tarkovski s’y prête bien.
On se met ensuite à travailler l’Etranger de Baudelaire. Cette fois en dialogue. Ça marche toujours aussi bien ! Une discussion se fait autour du mot déesse qui n’est pas facile à expliquer devant des personnes aux religions très différentes. J’essaye tant bien que mal de me raccrocher aux grecs et à leurs dieux… pas facile !
Vers la fin de l’atelier je sors les premières traductions de Baudelaire que j’avais sur moi – une en Hébreux, en Bengali et en Hongrois- Je demande à Islam si sur les pages en Bengali il y avait « l’Etranger »? Non, y figure la traduction de « l’invitation au voyage ». Je l’invite à lire en Bengali cette traduction. Le silence se fait et toute l’attention se concentre sur cette langue que personne à part Islam ne connaît. Un moment incroyable où nous écoutons ensemble la musique de cette langue inconnue. La voix d’Islam semble plus claire et douce qu’en français.

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Bonjour Patrick,

J'aurais voulu te voir pour discuter du projet avec toi, mais je serai en coordination cet après-midi et je ne sais pas à quel autre moment te trouver.
Depuis ces dernières semaines nous sommes sur le pied de guerre avec de nouveaux modules de formation à concevoir, et dont il va falloir animer une partie. Ces projets me poussent même à mettre entre parenthèse une partie de l'accompagnement des formateurs qui fait pourtant partie de mes missions ; et il semble qu'ils vont se multiplier dans les mois à venir.
Du coup, je crois que je vais devoir mettre en suspens mon intervention auprès de ton groupe. J'en suis très sincèrement désolé, car j'y trouve un grand intérêt, mais depuis la dernière séance je n'ai pas pu m'y replonger et je ne pense pas pouvoir le faire d'ici la prochaine fois (sauf à la dernière minute et dans le stress, et je n'y tient pas).
Je te remercie de m'avoir offert cette opportunité. Peut-être que nous pourrons de nouveau l'envisager dans d'autres circonstances, ou peut-être pas. En tout cas, je regrette, encore une fois.
Merci de ta compréhension ; on se voit, ou on se croise bientôt.

Bien à toi,

Mathias

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Tout là-haut, tout là-haut, loin de la route sûre,
Des fermes, des vallons, par-delà les coteaux,
Par-delà les forêts, les tapis de verdure,
Loin des derniers gazons foulés par les troupeaux,

On rencontre un lac sombre encaissé dans l’abîme
Que forment quelques pics désolés et neigeux ;
L’eau, nuit et jour, y dort dans un repos sublime,
Et n’interrompt jamais son silence orageux.

Dans ce morne désert, à l’oreille incertaine
Arrivent par moments des bruits faibles et longs,
Et des échos plus morts que la cloche lointaine
D’une vache qui paît aux penchants des vallons.

Sur ces monts où le vent efface tout vestige,
Ces glaciers pailletés qu’allume le soleil,
Sur ces rochers altiers où guette le vertige,
Dans ce lac où le soir mire son teint vermeil,

Sous mes pieds, sur ma tête et partout, le silence,
Le silence qui fait qu’on voudrait se sauver,
Le silence éternel et la montagne immense,
Car l’air est immobile et tout semble rêver.

On dirait que le ciel, en cette solitude,
Se contemple dans l’onde, et que ces monts, là-bas,
Ecoutent, recueillis, dans leur grave attitude,
Un mystère divin que l’homme n’entend pas,

Et lorsque par hasard une nuée errante
Assombrit dans son vol le lac silencieux,
On croirait voir la robe ou l’ombre transparente
D’un esprit qui voyage et passe dans les cieux.

Charles Baudelaire

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Bonjour Madame Pissavy-Yvernault

un grand merci pour votre message.
Je suis allé voir le site, malheureusement les traductions ne sont pas celles dont j'ai besoin. Ainsi que le Spleen (il y en a 4 je cherche celui qui commence par "Pluviôse, irrité contre la ville entière).
Je suis à la recherche en particulier de "l'étranger", premier poème très court dans les petits poèmes en prose (Spleen de Paris).
C'est ce poème en premier que je souhaiterais travailler avec les personnes qui sont dans mon atelier.
Peut-être que Doan Van connaîtrait quelqu'un qui serait intéressé de traduire "l'étranger" et participer à ce projet.
Connaissez vous une association vietnamienne que je pourrais contacter sur Paris pour ces traductions?
J'ai envoyé également des mails à des chercheurs à l'INALCO spécialistes du vietnamien. J'attends leurs réponses.

Très cordialement

Patrick Fontana

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Chantiers ouverts :

Dernier atelier avant Noël.
Je propose un poème de Baudelaire en Alexandrins. Je devrais commencer à écrire une méthode pour apprendre le français à partir des exercices que je propose !
Celui-ci est très instructif et donne une rigueur toute nouvelle pour énoncer les syllabes une à une en comptant jusqu’à 12 ! Dans un silence très studieux qui me touche à chaque fois, je sens le groupe très intéressé et toujours aussi curieux de voir où je l’emmène cette fois. Ici l’aventure est balisée par le rythme du poème. A partir de cette lecture individuelle à la recherche des 12 syllabes, des deux hémistiches et de la métrique de chaque vers, se révèle une foule de détails concernant la prononciation de chacun, où il en est, ce qu’il a bien assimilé, ce qui lui reste à découvrir des complexités de la langue française.
J’en profite pour pointer les endroits qu’on va travailler plus particulièrement. Le vocabulaire du poème lui-même avec ses rimes éclaire également d’une autre façon les syllabes.
On laisse tomber Baudelaire, qu’on reprendra en janvier.
Je ressors un des tous premiers poèmes qu’on a travaillé ensemble, un poème de Prévert, « cet amour ». Et là on se lâche, on s’amuse à arpenter le poème mais cette fois-ci en travaillant le rythme, ne pas lâcher le rythme même si les syllabes ne sont pas toutes justes.

Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
Comme un homme tranquille au milieu de la nuit

Je choisi ces deux phrases dans le poème et je leur lance un rythme qu’ils doivent reproduire. Ce rythme s’affine avec la durée, se déplace, s’accélère. On expulse le rythme, on joue avec les sonorités, on rit beaucoup. J’en rajoute, je leur propose d’essayer de changer le volume de la voix, du plus bas au plus fort : je commence à entendre des voix nouvelles qui prennent de la force, de l’assurance. Je pousse l’exercice vers l’interprétation en proposant une tonalité : la violence et la colère pour faire ressortir la noirceur de « cet amour ».
Je les surprends en leur montrant qu’on peut jouer sur l’élasticité des mots et des sonorités et que chacun peut s’en emparer.
On se dit à bientôt, on remet en place les tables.

En janvier, Antoine viendra nous apprendre la première phrase de « l’étranger » de Baudelaire en langage des signes. D’ici là je dois repenser le dispositif pour les enregistrements.

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